Quel est le diagnostic ?
Au cours de la décennie 80 une nouvelle idéologie s’est mise en place, instituant, au plan mondial, un nouveau système politico-économique : le capitalisme financier néolibéral qui s’est traduit par de nouvelles règles tant sur le terrain économique que managérial.
Au plan économique la mise en œuvre des 3D : désintermédiation (la fonction d’intermédiation des banques entre les détenteurs d’épargne et les emprunteurs a été transférée aux marchés financiers), décloisonnement (entre les anciens compartiments des marchés monétaires et financiers mais aussi entre les banques commerciales de détail et celles d’investissements) et déréglementation (abrogation de toutes les règles encadrant le fonctionnement des marchés financiers).
A ces 3D on doit en rajouter un quatrième : la dématérialisation (les titres actions, obligations, dérivés, ont perdu leur forme papier pour devenir virtuels, une forme leur permettant une circulation mondiale sans coût et à la vitesse de la lumière).
Au plan managérial deux aspects ont eu des effets majeurs. Le “juste à temps” (également appelé gestion en flux tendus) a conduit notamment à une suppression des stocks accentuant le court termisme de l’économie réelle, et accentuant donc la circulation des camions ; dans le monde de la finance cela conduit à apprécier quotidiennement la performance des opérateurs (traders) et gestionnaires de fonds (les SICAV ou FCP), sur la base de résultats qui doivent être supérieurs à ceux de la moyenne (par exemple le CAC 40). Et la convergence d’intérêts, qui en rémunérant les dirigeants des entreprises en fonction des cours boursiers (stocks options, retraites chapeau indexées sur les cours, etc), a amené ces chefs d’entreprises à ne tenir compte que des seules préoccupations des actionnaires.
Ces profondes mutations ont engendré principalement trois conséquences :
● Le court-termisme : lorsqu’un financier investi, il n’a qu’une préoccupation : gérer sa « sortie » (la revente de son titre avec plus value). Mais si l’industriel doit gérer le temps long entre son investissement matériel et l’évolution technologique de celui-ci, tel n’est pas le cas du financier qui peut constamment revendre son titre. Le “juste à temps” accentue ce comportement (cf. l’absence de stocks de sécurité, concept dépassé, pour les masques chirurgicaux lors de la première pandémie).
● L’instabilité : si l’économie réelle s’inscrit obligatoirement dans le temps long des mutations technologiques ou des changements de comportements des consommateurs, tel n’est pas le cas de la finance qui obéit à des comportements de mimétisme et auto-réalisateurs provoquant des hausses puis des krachs souvent sans fondement réel. La crise de 2008, d’origine exclusivement financière (mais aux conséquences économiques et sociales bien réelles) en constitue la meilleure illustration ; les bulles, financières ou immobilières (telle que celle qui s’est développée de 2009 à 2020) en constituent également des illustrations.
● L’accentuation des inégalités sociales.1 Celle-ci a été largement documentée par les économistes. D’abord car les classes pauvres de tous les pays et les classes moyennes des pays développés ont vu, depuis les années 1980, leurs revenus et leurs patrimoines stagner alors que dans le même temps ceux des plus riches (les 1 %) ont explosés ; ce sont les seuls à avoir bénéficié de ces mutations !2
Ensuite car ces évolutions sont totalement incompatibles avec l’avenir de l’humanité : écologie, climat, biodiversité sont menacés à brève échéance. La re-régulation financière constitue une brique essentielle à la reconstruction d’une société résiliente.
La position d’EELV
Il est impératif de remettre l’économie sur ses pieds et de combattre le capitalisme financier. Appliquer de nouvelles règles et contraintes à la finance est une priorité urgente. Car, utile quand elle est au service du financement de l’économie réelle, elle devient nuisible et prédatrice quand elle met l’économie réelle à son service.
1 – Encadrer le système bancaire et stabiliser l’économie réelle
Le système bancaire doit être suffisamment solide pour ne pas remettre en cause la stabilité de l’économie réelle. Il doit savoir prioriser le long terme sur le court terme et ne pas opérer des prélèvements indus sur l’économie réelle.
1.1 – La séparation des activités bancaires. Il est nécessaire de poursuivre à son terme une réforme structurelle du secteur bancaire pour séparer totalement les activités des banques de détail, qui financent l’économie réelle, des activités financières à haut risque, donc spéculatives, sur les plans juridique, organisationnel et opérationnel. Cela implique de revoir la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 18 juillet 2013 pour la rendre plus conforme à ses objectifs initiaux. Il faut veiller à ce que le financement bancaire soit davantage orienté vers des projets soutenables. Pour ce faire, une politique sélective du crédit doit être mise en place avec des taux d’intérêt plus bas pour les projets écologiques et un encadrement quantitatif pour les autres crédits.
1.2 – Le renforcement de la surveillance des banques. Bien qu’ayant permis un certain nombre d’avancées, les accords de réglementation bancaire de B âle III, initiés par les membres du G20, ne sont pas suffisants pour garantir des pratiques plus vertueuses de la part des acteurs bancaires. Au niveau européen, une macro surveillance pourra être instaurée appliquée à l’ensemble du système bancaire du fait du risque systémique et de l’effet contagion. Nous pourrions également codifier la tarification bancaire pour mieux protéger les Très petites entreprises (TEP), les Petites et moyennes entreprises (PME) et les particuliers en situation précaire.
2. Remettre la Finance à sa place
La recherche de maximisation du profit quelles qu’en soient les conséquences est fondamentalement opposée à l’intérêt commun, celui des citoyen.ne.s et de la planète. La déconnexion entre l’économie réelle et la finance met en péril la viabilité de l’économie et des emplois, en plus d’une pression insoutenable sur les ressources naturelles.
Contre les dérives spéculatives de la finance qui détournent les financements de l’économie réelle et provoque son instabilité (avec une multiplication des crises aux conséquences économiques et sociales fortes), nous devons adopter des mesures de régulation fortes.
L’ensemble de l’économie mondiale et l’économie nationale ne peuvent continuer à être pris en otage par les aléas de la tourmente spéculative sur les marchés financiers. La crise de 2008 a montré les conséquences économiques et sociales dévastatrices de ce qu’on appelle « l’autorégulation » des acteurs de la finance. Il est temps pour les pouvoirs publics d’agir enfin et de mettre fin à ce véritable jeu de roulette russe qui sévit quotidiennement sur nos marchés financiers. Il est pour cela essentiel d’interdire un certain nombres de pratiques qui encouragent la finance folle : les marchés de gré à gré et les opérations financières dites OTC (over the counter) qui sont opérées sans le moindre contrôle hors des chambres de compensation traditionnelle ou encore le Trading Haute Fréquence, qui plonge la finance et la spéculation dans une course effrénée qui se joue désormais à la microseconde. Il est essentiel de réguler tous les acteurs non-bancaires de la finance de marché. Une attention particulière devrait être portée aux Hedge Funds — fonds d’investissement — qui font de l’évasion réglementaire un élément constitutif de leur stratégie en se domiciliant dans des places financières offshore. Enfin les écologistes proposent d’aller progressivement vers l’interdiction de la titrisation des crédits bancaires. Cette pratique permet actuellement aux banques de se défaire des crédits qu’elles ont accordés en les vendant sous forme de créances négociables sur des marchés ad hoc, en réduisant la lisibilité du risque de ces produits. C’est ce manque de traçabilité du risque qui a en partie alimenté la crise de 2008.
De manière plus globale, il semble impératif de réduire la dépendance des entreprises vis-à- vis des marchés financiers via le développement d’une politique publique du crédit (taux préférentiels pour les activités prioritaires au plan social et environnemental) qui permettra d’encourager la transition écologique par exemple.
3. Favoriser le développement des monnaies locales et encadrer rigoureusement les cryptomonnaies.
Les monnaies locales complémentaires ont plusieurs vertus : vecteurs de lien social, elles sont également un outil efficace de relocalisation de l’économie et remplissent ce faisant des
finalités écologiques. Les crypto-monnaies (bitcoin, libra, etc) ne connaissent pas ces vertus. Outils de spéculation, elles sont particulièrement volatiles ; elles ont pu également servir au financement du terrorisme.
Le bitcoin est une pure création spéculative permettant des transactions opaques (marché noir) ; il doit être mis fin à son existence en France et en Europe par exemple en considérant que tout bitcoin détenu provient d’une transaction illégale et réprimée comme telle. Diem ou Libra serait une monnaie en cours de création par Facebook. Pour son fondateur, la maîtrise de cette nouvelle monnaie (circulant uniquement par smartphone) est d’enrichir sa base de données sur les individus : connaissance de tous ses actes d’achat pour les revendre aux annonceurs. D’où le danger !
Une interdiction risquerait cependant de porter atteinte aux créations de monnaies locales.
La solution pourrait être de réglementer en imposant que toute monnaie doive respecter le secret bancaire et ne divulguer aucune information sur les utilisations de la monnaie (ce qui couperait l’herbe sous le pied à Diem ou Libra).
1 Voir notamment Thomas Piketty, Le capital au XXème siècle et Capital et idéologie ; Emmanuel Saez, Le Triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie (2020) ; Branco Milanovic, Inégalités mondiales : le destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances.
2 Voir sur la réduction des inégalités au cœur du projet écologiste.