Monnaie – Verdir la politique monétaire
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Mettre la politique monétaire au service de la transition écologique

La Cour des comptes de l’Union européenne estime à 1115 milliards d’euros entre 2021 et 2030, secteurs public et privé confondus, l’investissement annuel nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour la France, l’INSEE a estimé en octobre 2020 à 4,5 % du PIB par an jusqu’en 2050 la trajectoire optimale des financements annuels pour le climat pour parvenir à la neutralité climatique. Ce qui implique d’après l’Institut Rousseau une augmentation par rapport à l’existant de 70 à 100 milliards d’euros en y incluant les dépenses d’adaptation au changement climatique, de protection de la biodiversité, de lutte contre l’artificialisation des sols, d’aide à la reconversion de l’agriculture et des activités industrielles (qualifications et emplois).

Le Rapport du GIEC de 2018 est sans équivoque : il nous reste une fenêtre de quelques années pour éviter un emballement climatique irréversible. ​La politique monétaire peut et doit jouer un rôle majeur dans le financement de la transition écologique. ​Elle s’est traduite jusqu’à présent, au travers de la politique de “​l’assouplissement quantitatif​” (​Quantitative easing QE), par un financement massif des banques, et des achats significatifs d’obligations privées et de dettes d’États. Dénuée d’objectif climatique, elle peine à relancer l’activité et suscite une inflation des actifs financiers et immobiliers, à l’origine d’une aggravation des inégalités. Verdir la politique monétaire, c’est non seulement adapter à court terme des outils déjà existants, mais c’est aussi proposer des solutions innovantes à moyen terme, lesquelles appellent parfois des changements institutionnels (notamment au niveau de la gouvernance de la Banque centrale européenne – BCE).

Le verdissement de la politique monétaire – nécessaire pour répondre à l’urgence climatique – doit permettre à l’Union européenne d’emprunter collectivement, pour dégager des marges manœuvres et permettre aux États et aux différents acteurs de conduire leurs transitions.

Les préalables – taxonomie des activités financières et remise en cause des principes de neutralité :

Orienter la taxonomie (titres et banques) vers un outil d’exigence et d’alignement avec l’Accord de Paris.

Cette taxonomie est une classification, pour définir ce qu’est un investissement vert, pour l’instant, principalement dans une optique de transparence et de labellisation. L’objectif principal de cette taxonomie doit être de s’aligner avec l’Accord de Paris. Dans le même esprit peut être élaborée une classification des banques en fonction de leur alignement sur l’objectif de neutralité climatique. Les écologistes souhaitent d’ailleurs plus loin que la seule qualification des activités économiques durables mais d’avoir, sur le même modèle, une classification qui définit les activités nuisibles pour l’environnement, et aide à identifier les investissements qui les permettent.

Renoncer au principe de neutralité du marché pour respecter celui de neutralité carbone.

Dans le but d’injecter dans l’économie des liquidités pour relancer l’activité, la Banque Centrale Européenne peut être amenée à opérer un rachat massif d’actifs financiers. Cette opération s’appelle le ​quantitative easing (​ ou assouplissement quantitatif) et la Banque Centrale Européenne procède à des rachats d’obligations qui doivent refléter la structure du marché donc respecter la proportion des secteurs qui y sont représentés. Autrement dit dans la règle actuelle : lorsque la Banque Centrale achète de la dette privée (émise par des entreprises), la répartition des achats doit être représentative des montants de dettes échangés sur les marchés. ​La neutralité de ses interventions reproduit ainsi un statu-quo non conforme aux engagements climatiques de l’UE.​ Les achats d’actifs bruns des firmes des secteurs pétrolier, gazier, automobile, et autoroutier représentent ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros. ​La BCE doit revoir cette politique d’achats de façon à favoriser les activités verdissantes au détriment des activités polluantes. Ces achats pourraient être guidés par une grille de notation climat des titres élaborée par une agence publique indépendante (proposition de l’économiste Hubert Kempf).

Conforter l’abandon du principe de neutralité du capital et du plafond d’achat de dette publique.

La BCE a récemment relâché ses règles d’achat de dettes publiques (achats proportionnels au capital détenu par les États et sans dépasser 33 % du PIB). L’Italie en a bénéficié au cœur de la crise sanitaire du printemps 2020. L’abandon de ces règles doit être pérennisé par le Directoire de la BCE. Enfin, les achats de dettes devront se faire en priorité sur des titres correspondant à des investissements en faveur de la neutralité climatique.

Pour le verdissement d’outils existants

Les outils de politique monétaire existant peuvent être utilisés comme autant de leviers de verdissement de l’économie en général : les opérations de refinancement (les prêts accordés aux banques par la banque centrale), les garanties (ou “collatéraux”) demandées aux banques pour ces prêts, ainsi que le plafond maximal de prêts.

Sur les opérations principales de refinancement (OPR), il serait possible de mettre en place un système de bonus-malus, sur le taux d’intérêt, construit en fonction de la part de des crédits accordés par une banque à la transition carbone et de la part finançant des opérations polluantes (« actifs bruns »). Dans la même logique, des conditions sur le caractère vert des garanties (ou “collatéraux”) déposées par les banques à la Banque centrale européenne pour les opérations de refinancement devront être mises en œuvre. Enfin, nous proposons d’orienter des opérations de refinancement à plus long terme dites “TLTRO” (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) en faveur de la transition écologique. La mise en œuvre de «TLTRO verts» permettra de conditionner le refinancement de la BCE à des prêts ciblés des banques en faveur de l’environnement. Le « TLTRO vert » fera ainsi dépendre le montant de ce refinancement au niveau des crédits verts des banques.

Un Green new deal monétaire pour une neutralité carbone !


L’urgence climatique requiert un programme pluriannuel d’achat d’actifs verts, en appui aux volets écologiques des plans de relance nationaux et européen.

La BCE a répondu à l’urgence sanitaire en effectuant des opérations massives de rachat titre, permettant ainsi aux taux d’intérêt de ne pas augmenter. Mais ce programme (le pandemic emergency purchase program) ne fut pas ciblé sur un type d’investissement (écologique, sectoriel). Ainsi, en complément de ce PEEP, l’urgence climatique requiert un programme pluriannuel d’achat d’actifs verts. Ce programme d’achat d’actifs verts devra correspondre à l’achat des obligations qui correspondent aux volets écologiques des plans de relance nationaux et européen.

L’effacement des créances détenues par la BCE ou les banques centrales sur les États de la Zone euro.

La remise de dettes publiques détenues par l’Eurosystème dégagerait des marges de manœuvre pour les États de la Zone euro : ​un euro annulé doit correspondre à un euro emprunté pour les investissements de transition écologique. Cette décision serait précédée d’une analyse précise avec nos partenaires européens. Elle peut être accompagnée d’un plafond, à hauteur des investissements dans la transition écologique par exemple. Le montant de dettes souveraines actuellement détenu par l’Eurosystème – et qui pourrait être annulé -, s’approche de 25% du PIB de la zone euro. Cela représente des sommes gigantesques (420 milliards d’euros dans le cas de la France, plus de 2 000 milliards d’euros à l’échelle de l’UE) qui seraient immédiatement libérées de la contrainte du remboursement par les États.

Modifier l’article 123-1 du TFUE : autoriser le financement direct des États par la BCE permettrait la souscription directe des dettes d’État et une monétisation d’investissements publics.

L’enjeu majeur que constitue le remboursement de la dette connaît deux solutions : le paiement par les impôts et/ou la réduction de la dépense publique d’une part, et l’inflation d’autre part. L’achat de dettes publiques sur le marché primaire par la banque centrale est un financement monétaire direct qui éviterait une dépendance vis-à-vis du marché financier secondaire. Le financement monétaire direct et l’inflation sont deux instruments aujourd’hui exclus de l’arsenal des politiques publiques européennes pour des raisons historiques. Le financement direct des États par la Banque Centrale – interdit par le TFUE actuel – pourrait pourtant permettre de pérenniser le financement d’une partie de la dette publique, de manière maîtrisée et ciblée afin de ne pas entrer dans des cycles de perte de confiance dans la monnaie et de variation incontrôlable de l’inflation (hyperinflation ou déflation).

Au-delà de la souscription directe d’emprunts d’États de la Zone euro par la Banque centrale, le transfert direct et non remboursable de monnaie aux États ou aux collectivités locales par la BCE permettrait de monétiser les dépenses d’investissement des États dans la transformation écologique. ​Ce type de transfert libérerait une partie de l’investissement public de l’endettement​, et, surtout, limiterait les risques d’une politique future austéritaire qui réclamerait la réduction de la dette (proposition J. Couppey-Soubeyran).

Enfin une réforme du statut de la BCE : des objectifs climat et plein-emploi, et des banques du climat

Il est temps d’adapter les objectifs de la BCE aux enjeux actuels.

A côté de l’objectif principal de stabilité des prix, réaffirmer explicitement, en modifiant le TFUE, ​deux autres objectifs principaux : l’activité de plein-emploi, et la préservation du climat et de la biodiversité. ​L’objectif climat se réfère à la neutralité climatique de l’UE à l’horizon 2050. La stabilité des prix s’entend comme une fourchette de taux d’inflation à définir, ce qui donnerait plus de souplesse à la politique monétaire que la cible des 2 % actuelle. Ce changement peut se faire à traité constant.

Une politique monétaire au service de l’investissement : banque du climat européenne et banques nationales du climat

Les banques privées ne répercutent que très faiblement aux acteurs économiques les financements que leur octroie la Banque centrale, et lorsqu’elles le font, c’est sans conditionnalité écologique. La BCE doit réorienter ses achats d’actifs vers le secteur bancaire public, en soutenant massivement les banques publiques d’investissement et la BEI (Banque européenne d’investissement). Pour ce faire, la réécriture de l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) apparaît nécessaire. Il autoriserait la BCE à souscrire aux dettes émises par la BEI et les banques publiques en faveur d’investissements dans la transition écologique, dans des volumes significatifs, à taux préférentiel et pour des maturités longues (Nicolas Dufrêne, 2019). Les montants concernés allant bien au-delà de la feuille de route « Banque du Climat » de la BEI, cette dernière nécessiterait une recapitalisation.

L’incontournable réforme et démocratisation de la Gouvernance BCE

Il est essentiel de garantir une gouvernance démocratique de la Banque Centrale Européenne, en faisant voter sa composition et ses orientations politiques par le Parlement européen. Sous le contrôle du Parlement, la BCE pourrait adapter sa stratégie en fonction d’objectifs comme le plein-emploi ou la transition écologique, et garantir que le coût de la dette publique reste toujours bas à travers la zone euro, quelles que soient la conjoncture ou la réaction des marchés financiers.

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