Inégalités – Lutte contre les inégalités et la précarité au cœur du projet écologiste
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Un constat : L’accroissement des inégalités

Le mouvement des gilets jaunes a rappelé le lien intime qui existait entre urgence climatique et urgence sociale. Ce mouvement illustre l’impossibilité de mener une politique environnementale ambitieuse sans affronter le problème des inégalités et la perception qu’en ont les citoyen.nes. Longtemps considérée comme implicite au projet écologiste, la question de la justice sociale – et de la lutte contre les inégalités – doit devenir un principe fort de la transition écologique que nous portons.

Dans le monde, le niveau des inégalités se situe à des niveaux de concentration des richesses insupportables​.

D’après l’ONG Oxfam, les 1% les plus riches de la planète possèdent un patrimoine deux fois (132 586 milliards de dollars) plus élevé que la richesse des 90% les plus pauvres, soit 6,9 milliards de personnes. Et cette tendance ne cesse de s’accentuer, depuis 2010, la richesse des 1% les plus riches de la planète augmente de 13% par an. Les écarts de revenus entre les 1% du haut et les classes moyennes et populaires se creusent, les premiers doublant ou quadruplant leurs revenus entre 1980 et 2016 tandis que ceux des classes moyennes et populaires n’ont augmenté que de l’ordre de 50% sur la même période (Alvaredo et al. 2018a). ​Comble de l’indécence : alors que le monde est frappé par la crise sanitaire de la Covid et ses conséquences sociales et économiques dramatiques, la fortune des milliardaires a augmenté de 27,5%.

En France, les attaques contre le modèle de protection sociale conjuguées aux réformes d’un système fiscal devenu de moins en moins progressif avec son lot de privilèges pour les plus aisés (boucliers fiscaux, suppression de l’ISF, niches fiscales), l’inégalité en matière d’éducation et une gouvernance des entreprises privilégiant les détenteurs des capitaux expliquent une trajectoire inégalitaire de plus en plus inquiétante. Résultat d’après l’Insee; entre 1998 et 2015, la part du patrimoine des 10% les plus riches a augmenté de 113% tandis que celle des 10% les plus pauvres a reculé de 31%.

Preuve que cette tendance de concentration des richesses aux mains de quelques-uns continue de se renforcer : au seul premier semestre 2019, la richesse cumulée par les 14 citoyens français les plus riches a ainsi progressé de 78 milliards de dollars, soit +35% et deux fois plus que les milliardaires chinois et américains.

Depuis la crise financière de 2008, le nombre de milliardaires en France a été multiplié par 4. Les 7 milliardaires les plus riches de France possèdent désormais plus que les 30% les plus pauvres (Oxfam 2020). Dans le même temps, en 2018, 400 000 personnes ont basculé sous le seuil de pauvreté (Cornuet et Sicsic 2019) et tous les indicateurs semblent indiquer que la crise sanitaire de la Covid-19 contribue à creuser encore plus les inégalités et la précarité des plus fragiles ​(1 million de personnes auraient basculé dans la pauvreté).

La redistribution permet d’atténuer les inégalités mais le modèle social français est en danger car notre fiscalité repose de manière croissante sur des impôts régressifs comme la TVA et la CSG, des impôts qui pèsent proportionnellement plus sur les citoyen.ne.s les plus pauvres. ​L’instauration de la flat tax et la suppression de l’ISF au début du quinquennat ont accentué cette tendance en diminuant de nouveau la participation des plus riches à notre système de redistribution. Les plus pauvres restent les grands perdants des mesures budgétaires depuis le début du quinquennat : ce sont les seuls à ne pas voir leur pouvoir d’achat augmenter significativement, selon l’Institut des politiques publiques (IPP) (Fabre et al. 2020). A l’autre bout de l’échelle, les 1% les plus riches continuent à creuser leur écart en voyant leur pouvoir d’achat augmenter de 4 462 euros par an, sans parler des 0,1% qui font carrément sécession en bénéficiant d’un cadeau fiscal qui se chiffre à 23 072 euros par an. Ces réformes en faveur des plus aisés sont essentiellement justifiées au nom du ruissellement, tirant en théorie l’ensemble des revenus à la hausse du fait d’un accroissement de l’investissement ; malheureusement de tels effets sont infirmés par de nombreux travaux récents (Bach et al. 2019; Yagan 2015; Boissel et Matray 2019).

Au-delà des faits, ces réformes fiscales inégalitaires crispent les opinions individuelles autour du pouvoir d’achat et créent un sentiment de défiance, empêchant toute réforme structurelle, notamment environnementale. De récents travaux (Douenne et Fabre 2019) soulignent notamment le fait que seuls 10% des français se disent en faveur d’une taxe carbone dont les recettes seraient redistribuées de sorte à la rendre progressive, le principal motif étant la crainte d’une perte de pouvoir d’achat du fait d’une telle réforme. ​Ainsi, il s’avère primordial d’intégrer dans le projet écologiste la problématique des inégalités et de la redistribution via des mesures à la fois ambitieuses et transparentes.

Pas de transition écologique sans plus de justice sociale.

Cette spirale inégalitaire interroge notre capacité à nous écologistes à réaliser la transition écologique que nous portons.

Tout d’abord parce que les études montrent que inégalités environnementales et sociales sont intimement liées et s’entretiennent. Plus une société est inégalitaire, plus son impact sur l’environnement est néfaste. Comme le montre l’économiste Lucas Chancel, les individus les plus aisés qui sont en général moins soumis aux risques environnementaux, moins sensibles aux chocs environnementaux (avec plus de moyens pour s’en prévenir et y faire face), sont aussi ceux qui polluent le plus. Cela apparaît de façon très nette dans la plupart des enquêtes dont on dispose sur le sujet : le niveau de revenu est le principal facteur expliquant les différences d’émissions de CO2 entre individus d’un même pays. En France, les 10% les plus pauvres polluent 8 fois moins que les 10% les plus aisés.

L’inégalité participe d’ailleurs à accroître l’irresponsabilité écologique des plus riches qui externalisent leurs coûts environnementaux vers l’extérieur (et souvent vers les plus pauvres). ​D’autres économistes comme Eloi Laurent ont également montré que les inégalités participaient à l’aggravation des dégradations environnementales et des crises écologiques (​Pour une transition sociale-écologique, Institut Veblen). En identifiant par exemple que l’inégalité nourrit inutilement un besoin de de croissance économique potentiellement nuisible à l’environnement : plus la création de richesse d’un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population compense cet accaparement par un surcroît de consommation. En détruisant les relations de confiance entre individus et vis-à-vis des institutions et précipitant la tragédie -surexploitation- des biens communs, la forte inégalité entrave les capacités d’action collective à même de préserver les ressources naturelles.

Ensuite, l’histoire a montré que le maintien de forts niveaux d’inégalités contribue à fragiliser, voire mettre en péril la démocratie et par là même nos chances politiques de mettre la transition écologique en action. ​De plus, les forts taux d’inégalités participent à la polarisation de la vie politique en faveur des individus les plus fortunés dont les intérêts économiques peuvent être inverses aux nécessaires politiques de transition écologique et de préservation de notre environnement.

La transition écologique ne peut donc pas s’envisager sans une profonde réduction des inégalités.

​La montée des inégalités n’est pas une fatalité à laquelle nous devrions nous résoudre, mais le résultat d’une construction politique et idéologique: il est essentiel que les écologistes prennent à bras le corps ce problème et fassent de la réduction des inégalités un axe fort de leur projet politique.

Principales propositions

Dans toutes les politiques mises en place par un pouvoir écologiste, il sera indispensable de placer la justice sociale au cœur de la transition écologique ​: l’impact distributif sur les revenus et patrimoines des ménages de toute nouvelle taxe ou incitation économique prévue pour accompagner la transition écologique sera analysée et des mesures de redistribution seront mises en œuvre afin d’aider les ménages les moins favorisés. ​Par exemple, la mise en œuvre d’une taxe carbone pourra s’accompagner d’une redistribution des recettes vers les ménages au plus bas revenus, couplant ainsi la lutte contre le changement climatique et la réduction des inégalités. Autre exemple : une éventuelle révision de la TVA pour inciter à consommer moins de produits à fort impact environnemental s’accompagnera de l’affectation de l’excédent de la collecte à un crédit d’impôt (​i.e. u​ ne aide directe de l’État) versé mensuellement à tous les adultes résidents fiscaux en France, bénéficiant proportionnellement plus aux ménages les plus modestes. Il est donc essentiel de ​décloisonner les politiques sociales et environnementales​. C’est-à-dire d’intégrer les inégalités environnementales dans les politiques de redistribution et réduire les inégalités en minimisant l’impact écologique des mesures de justice sociale. Pour y parvenir nous devons connaître précisément les inégalités environnementales (l’exposition et la vulnérabilité aux risques environnementaux, responsabilité vis-à-vis des dégâts environnementaux/ empreinte écologique) en nous dotant d’outils de mesures et en les cartographiant.

Pour en finir avec une politique fiscale uniquement en faveur des plus riches, ​l’ISF devra être rétabli avec une assiette plus large et un barème plus progressif​, avec également moins d’exonération et l’ambition de faire mieux contribuer les plus hauts patrimoines. Ce dispositif viendrait en complément de la taxe foncière qui continuerait à financer les collectivités locales. ​La flat tax sur les revenus des capitaux sera supprimée. Elle permet actuellement aux plus favorisés de payer moins d’impôt que la classe moyenne.

Une fiscalité plus progressive sur tous les revenus sera ré-instaurée. Cela implique de redéfinir l’utilité et le maintien de chacune des niches fiscales en fonction des bénéfices sociaux, culturels et environnementaux qu’elles pourraient apporter à la société. Toutes les niches fiscales injustes socialement ou inutiles seront supprimées.

L’impôt sur le revenu pourra être individualisé ​(suppression du quotient conjugal), afin de rendre les niveaux d’imposition indépendants des choix individuels de mise en couple, et le quotient familial sera remplacé par un crédit d’impôt par enfant​, constant quelque soit le niveau de revenu (aujourd’hui, l’avantage fiscal associé au quotient familial est en moyenne croissant en fonction du revenu).

Le système de dons et d’héritage sera amélioré pour moins taxer les petits héritages et prévenir l’extrême concentration des patrimoines chez les plus riches : ​progressivité de l’impôt sur l’héritage, limitation des exonérations sur les dons importants et des réductions d’impôts en cas de filiation directe.

Notre système de prestations sociales devra être réformé, pour limiter une complexité qui engendre du non-recours (éligibles ne faisant pas valoir leurs droits), le rendre plus réactif aux difficultés individuelles (le délai de trois mois pour bénéficier du RSA suite à une baisse de ressources est trop long) et couvrir toutes les populations dans le besoin (exemple : 18-25 ans). Les minimaux sociaux devront être revalorisés pour garantir l’accès de tou.te.s aux droits fondamentaux et aux biens de première nécessité.

En parallèle de la mise en place de mesures de justice sociale, la ​création d’un cadastre financier international ​est une mesure clé pour permettre aux administrations fiscales de savoir qui possède quoi. Les accords de libre circulation des capitaux ne remplissant pas ces conditions devront être suspendus